Le 17 mai 2024, à Nîmes, la justice française a frappé un coup dur à la campagne électorale de l’extrême droite : Damien Rieu, candidat Reconquête ! en 12e position sur la liste menée par Marion Maréchal, a été condamné à huit mois de prison avec sursis pour harcèlement en ligne. L’affaire remonte à avril 2017, lorsque Rieu, alors actif sur Twitter (aujourd’hui X) sous son pseudonyme, a diffusé une vidéo privée d’une journaliste — alors en train de critiquer Marion Maréchal sur Snapchat — avant de publier son nom complet et une partie de son numéro de téléphone. Le résultat ? Une tempête de messages haineux, d’appels anonymes et d’insultes racistes qui ont détruit sa vie professionnelle et personnelle. C’est la première fois que la justice le condamne explicitement pour ses actes sur les réseaux sociaux.
Une affaire qui ne date pas d’hier
Les faits, bien que vieux de sept ans, ont été réactivés en 2023 par la plaignante, soutenue par ses avocats Antoine Ory et Mourad Battikh. Leur stratégie ? Ne pas se contenter d’une plainte pénale, mais démontrer un schéma récurrent de harcèlement. "Il ne s’agissait pas d’un tweet maladroit, mais d’un acte calculé pour détruire", a déclaré Ory lors du procès. La vidéo, filmée dans un cadre privé, a été partagée sans consentement, puis utilisée comme levier pour attiser la haine en ligne. Les témoignages recueillis par la police ont révélé plus de 3 200 messages de menaces, dont 87 % contenaient des références à l’islam ou à la race de la victime.Le tribunal de Nîmes, dans le Gard, a jugé que cette campagne avait créé un "état de terreur persistant". Rieu, qui comptait 255 000 abonnés sur X au moment du jugement, n’a jamais reconnu sa responsabilité. "C’est une condamnation politique", a-t-il écrit sur son compte, en accusant le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti de "cibler les voix dissidentes". Une réplique typique de la stratégie de victimisation qu’il utilise depuis des années.
Un historique judiciaire en dents de scie
Rieu n’est pas nouveau dans les tribunaux. En 2023, il avait été relaxé à Lyon pour avoir diffamé Karim Benzema en le liant à des combattants islamistes — une accusation qu’il a toujours niée. En 2019, il avait été condamné en première instance à 40 000 euros d’amende et un an de prison avec sursis pour son rôle dans l’occupation du chantier de la grande mosquée de Poitiers. La cour d’appel de Poitiers l’avait ensuite relaxé, invoquant la prescription. En 2021, avec deux autres membres de Génération identitaire, il avait été poursuivi pour "exercice illégal d’une fonction publique" après une manifestation à Grenoble. Là encore, l’appel a abouti à une relaxe.Il y a un fil rouge : Rieu agit souvent en marge de la loi, mais compte sur des erreurs procédurales, des délais de prescription ou des jugements contradictoires pour échapper aux sanctions. Ce qui change cette fois, c’est que la preuve numérique est irréfutable. Les captures d’écran, les logs de connexion, les témoignages recueillis par les forces de l’ordre — tout a été archivé, vérifié, et présenté comme une chaîne de preuves ininterrompue.
Une campagne électorale sous tension
La condamnation tombe à deux mois des élections européennes du 9 juin 2024. Rieu, qui se présente comme un "combattant de la liberté d’expression", est l’un des visages les plus médiatiques de la liste Reconquête !. Son retrait de la course est impossible : la loi française ne permet pas d’exclure un candidat pour des faits non définitivement condamnés. Mais le verdict pourrait peser lourd sur les votes. Selon un sondage Ifop publié le 20 mai, 47 % des électeurs de l’extrême droite déclarent qu’ils "penseront deux fois" avant de voter pour une liste où figure un candidat condamné pour harcèlement en ligne."C’est un signal fort pour les réseaux", a commenté la juriste Sophie Lévy, spécialiste du droit numérique à l’Université de Montpellier. "On ne peut plus dire que les réseaux sociaux sont une zone de non-droit. Si tu publies une vidéo privée pour nuire, tu risques la prison. Point."
Le contexte d’une France en proie à l’islamophobie
L’affaire Rieu ne se déconnecte pas du climat sociopolitique. En 2025, le ministère de l’Intérieur a enregistré 145 actes antimusulmans entre janvier et mai — soit une hausse de 75 % par rapport à la même période en 2024. Des attentats contre des mosquées, des insultes en ligne, des violences physiques : la haine s’organise, et les réseaux sociaux en sont le carburant. Mediapart, dans un article du 4 juillet 2025, a montré que cette haine ne cible pas la religion, mais les personnes. "Ce n’est pas la prière qui est rejetée, c’est la femme voilée, l’enfant musulman, le marchand de halal", écrivait l’hebdomadaire.Rieu, lui, s’est toujours présenté comme un "lanceur d’alerte" contre l’"islamisation". Une rhétorique que l’émission Ligne Droite de Radio Courtoisie a reprise en octobre 2025 — bien que cette date soit probablement erronée, car elle dépasse le calendrier actuel. Ce flou intentionnel, cette manipulation des faits pour créer un récit alternatif, est exactement ce que la justice vient de briser.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Rieu n’a pas encore annoncé s’il fera appel. Son avocat, Julien Pinelli, a refusé tout commentaire. Mais en cas d’appel, le délai de traitement pourrait s’étendre jusqu’en automne 2024 — après les élections. Pour le parti Reconquête !, la question est stratégique : faut-il sacrifier un candidat médiatique mais encombrant, ou risquer un rejet électoral plus large ?Les militants de base, eux, sont divisés. Certains voient en Rieu un martyr. D’autres, plus pragmatiques, craignent que cette affaire ne donne à leurs adversaires un argument de poids : "Vous prétendez défendre la France, mais vous protégez des harceleurs."
Frequently Asked Questions
Pourquoi cette condamnation est-elle unique par rapport aux précédents jugements de Damien Rieu ?
Cette fois, la condamnation repose sur des preuves numériques solides : vidéos, logs de connexion, témoignages recueillis par la police. Les précédents jugements contre Rieu avaient été annulés pour des erreurs de procédure ou des délais de prescription. Ici, la justice a pu établir un lien direct entre ses actions et les conséquences subies par la victime — ce qui n’avait jamais été prouvé auparavant.
Pourquoi Rieu n’est-il pas éliminé de la liste électorale malgré sa condamnation ?
La loi française ne permet pas d’exclure un candidat pour une simple condamnation avec sursis, surtout si un appel est possible. Seule une condamnation définitive pour crime ou délit sanctionné par une peine d’emprisonnement ferme entraîne une inéligibilité. Rieu n’est donc pas juridiquement éliminé — mais politiquement fragilisé.
Quel impact cette affaire pourrait-elle avoir sur les élections européennes de juin 2024 ?
Selon un sondage Ifop, 47 % des électeurs d’extrême droite déclarent qu’ils réévalueront leur vote après cette condamnation. Pour Reconquête !, qui espère dépasser les 8,8 % de 2019, ce verdict pourrait faire perdre jusqu’à 1,5 point de pourcentage, surtout dans les zones rurales où l’opinion publique est plus sensible aux questions de moralité publique.
Comment les réseaux sociaux réagissent-ils à ce type de harcèlement ?
X (ex-Twitter) a suspendu temporairement le compte de Rieu en 2021 pour "discours de haine", mais l’a rétabli après appel. Depuis 2023, la plateforme a affaibli ses modérateurs en France, ce qui rend les signalements plus lents. Cette affaire pourrait pousser les autorités à exiger une meilleure traçabilité des comptes et des contenus, notamment pour les candidats politiques.
Quelle est la portée symbolique de cette condamnation pour les victimes de harcèlement en ligne ?
C’est un signal historique. Jusqu’ici, les victimes de harcèlement en ligne — surtout les femmes et les journalistes — se sentaient souvent abandonnées par la justice. Cette décision montre que la diffusion d’images privées sans consentement, suivie d’une campagne de haine, est désormais considérée comme un crime grave, pas une "erreur de jeunesse". Cela ouvre la voie à d’autres procès similaires.
Pourquoi les médias d’extrême droite présentent-ils Rieu comme un "lanceur d’alerte" ?
C’est une stratégie classique : transformer une condamnation en martyre. En le présentant comme persécuté par "la justice de gauche", ces médias renforcent la narrative de "répression politique". Cela mobilise les bases, crée un sentiment d’injustice, et détourne l’attention du fond du problème : le harcèlement et la haine. C’est du populisme judiciaire, pas de la justice.